- Formation
Supprimer les barrières
La plupart d’entre nous connaissent le modèle émetteur-récepteur qui décrit notre communication. Selon ce modèle, une conversation entre deux personnes se déroule selon le schéma suivant : un message est codé en mots et transmis de manière acoustique à l’aide de la parole. La personne qui reçoit le message l’entend et le décode. Le jeu recommence ensuite depuis le début. Mais qu’en est-il des personnes malentendantes qui ne peuvent pas entendre les signaux acoustiques ? Elles doivent se rabattre sur la communication visuelle – langue des signes ou écriture – pour que la communication ne soit pas interrompue. Mais comme ces signes ne sont justement pas bien établis dans notre société, les personnes concernées doivent faire face à de grands défis qui se font sentir dans tous les domaines de la vie.
30.11.2022
Interview avec Ruedi Graf, responsable régional et membre de la direction à la Fédération Suisse des sourds
Ruedi, comment communiques-tu avec les personnes qui ne parlent pas la langue des signes ?
Nous, les sourds, apprenons à l’école la langue parlée et la langue écrite, mais nous ne les maîtrisons pas tous de la même manière. Nous essayons de comprendre l’autre en lisant sur les lèvres. Si nous n’y parvenons pas, nous nous tournons vers l’écrit. Il y a donc toujours un moyen d’établir la communication. Lors de manifestations ou d’entretiens importants, je fais appel à un interprète en langue des signes, par exemple à l’hôpital, à l’administration ou lors de formations continues. Je ne veux rien manquer – les informations sont aussi importantes pour moi que pour les autres.
Comment as-tu vécu ta scolarité ?
J’ai fait ma scolarité à Saint-Gall et à Zurich, où se trouve la seule école secondaire pour sourds de Suisse alémanique. Apprendre avec d’autres sourds a été incroyablement précieux pour mon épanouissement personnel et social. Toutefois, à l’époque, la langue des signes n’était pas utilisée à l’école et les pédagogues se demandaient s’il était plus judicieux d’enseigner avec ou sans la langue des signes. Aujourd’hui, on sait que les personnes sourdes, en particulier les enfants qui maîtrisent les deux langues, sont généralement plus autonomes, plus confiantes et ont une grande résilience. C’était à l’époque une grande erreur de la pédagogie de retirer la langue des signes aux personnes sourdes. Il y a un an, toutes les écoles pour sourds de Suisse alémanique ont présenté officiellement des excuses pour cette erreur.
Après l’école vient le choix de la profession. Quelles sont les possibilités qui s’offrent aux personnes sourdes ?
Le choix des professions est très vaste. Il existe des restrictions là où la communication directe est centrale ou lorsqu’il faut beaucoup téléphoner. Le site internet de l’école professionnelle pour malentendants offre de nombreuses informations à ce sujet (www.bsfh.ch). Cela devient plus difficile dans les études et les formations continues. Les personnes sourdes ont les mêmes capacités cognitives que tout le monde, mais les aides techniques et linguistiques – comme les interprètes en langue écrite ou en langue des signes – sont souvent coûteuses, et la mise en œuvre des mesures dépend de la volonté des universités, des centres de formation et des entreprises d’assumer ces coûts pour un accès sans barrière. Il est nécessaire d’agir dans ce domaine pour que l’égalité des chances puisse être établie.
Ruedi Graf se présente
Je m’appelle Ruedi Graf. Je suis devenu sourd à l’âge de 4 ans à la suite d’une méningite. Je n’ai plus d’audition résiduelle, les nerfs auditifs ont « grillé ». Aujourd’hui, j’ai 61 ans – dont quatre années passées dans la société des entendants.
Je suis actuellement responsable régional et membre de la direction de la Fédération suisse des sourds. J’ai appris le métier de menuisier, mais très tôt, je me suis intéressé aux thèmes sociaux et politiques – c’est pourquoi, après mon apprentissage, j’ai choisi une nouvelle carrière : une formation dans le domaine du travail social, axée sur l’animation socioculturelle, avec une formation continue en gestion des organisations à but non lucratif.
Je suis un fan de sport – dès ma jeunesse, j’ai pratiqué un sport très actif. Depuis 2007, je joue au curling, je participe à des championnats et à des tournois. Je fais partie de l’équipe nationale de curling des sourds. Nous avons participé au Championnat du monde de curling des sourds, au Championnat d’Europe de curling des sourds et aux Deaflympics. De plus, je suis un grand fan du FC Saint-Gall depuis mon enfance.
Ma femme est également sourde et nous avons trois filles formidables. Toutes maîtrisent la langue des signes. Les personnes comme elles sont appelées CODA (« children of deaf parents »).
L’accessibilité est en effet souvent un thème lié à la numérisation, qui a été fortement mis en avant en raison de la pandémie de coronavirus. Est-ce que quelque chose a changé pour toi pendant cette période ?
La pandémie a rendu visibles de nombreux obstacles, mais elle a aussi créé de nouvelles solutions. Je pense par exemple aux réunions zoom : nous avons pu communiquer visuellement et nous rencontrer numériquement, même s’il est fatigant de se focaliser sur les petites images pendant une longue période. Ces réunions en ligne révèlent également les multiples possibilités de collaboration avec les sourds. En période de pandémie, la société a été sensibilisée grâce à la présence des interprètes lors des informations aux médias de l’OFSP et du Conseil fédéral.
Quel est ton degré d’autonomie dans la gestion de ton quotidien ?
Les personnes sourdes n’ont en principe pas besoin d’être accompagnées. Nous sommes mobiles et très autonomes. Si la communication nous limite quand même, nous faisons appel à des interprètes en langue des signes. La plupart d’entre nous entretiennent des contacts très étroits avec d’autres sourds et sont actifs dans les associations de sourds. Nous nous y sentons bien et chez nous, nous vivons notre culture de sourds.
Selon toi, qu’est-ce qui devrait changer dans le traitement et l’intégration des personnes sourdes ?
Nous rencontrons encore de très nombreuses barrières dans l’accès à l’information, dans la communication quotidienne et dans la participation sociale et culturelle. Ces dernières années, nous avons fait des progrès : il y a de plus en plus souvent des émissions avec des insertions d’interprétation en langue des signes et des manifestations culturelles avec des traductions. Un objectif important est la reconnaissance légale de la langue des signes en tant que langue officielle. Il est important que les gens nous respectent, nous et notre culture, qu’ils la comprennent et s’intéressent à nous. Nous pouvons enrichir la société et nous voulons en faire partie. C’est malheureusement le cas : ce n’est pas la surdité, mais la société qui nous handicape.
As-tu quelque chose à dire aux entendants ?
N’hésitez pas à venir vers nous – votre intérêt nous fait plaisir. Et nous pouvons enrichir mutuellement notre vie commune.
Collaboration avec la Fédération Suisse des sourds
Lorsque j’ai mis en page le rapport annuel pour la Fédération suisse des sourds, j’ai travaillé pour la première fois avec une cliente avec laquelle je ne pouvais pas communiquer comme d’habitude. Christa Notter, mon interlocutrice pour ce mandat, est en effet sourde.
La rencontre et les premiers rendez-vous avec Christa se sont déroulés par appels vidéo, un interprète traduisant en temps réel. La majeure partie de la communication s’est ensuite faite par e-mail. Je devais veiller à ce que tout soit clairement communiqué par écrit, car je ne pouvais pas simplement appeler Christa entre-temps pour discuter de quelque chose. C’est pourquoi je lisais toujours mes e-mails trois fois. Les réunions de travail ultérieures se faisaient par appel vidéo, mais sans interprète. Je partageais mon écran avec elle afin de pouvoir montrer l’état actuel de la mise en page, tandis que nous parlions simultanément par chat.
Une fois, alors que Christa devait me transmettre une information urgente, elle a appelé un service spécialement conçu pour les personnes sourdes. Celui-ci passe des appels pour elle lorsqu’elle a besoin d’une réponse rapide. On nous a ensuite dit que les personnes sourdes utilisent également cette option par exemple lorsque leur maison est en feu ou dans d’autres cas d’urgence pour lesquels nous, les entendants, prenons le téléphone.
Dans l’ensemble, cela a été pour moi une expérience passionnante de devoir relever, dans le cadre d’un projet, non seulement les défis habituels tels que l’établissement d’un calendrier ou la mise en œuvre en trois langues, mais aussi d’apprendre à communiquer d’une manière différente.
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