- Changement de perspective
Le droit de la communication, un outil indispensable
En 2011, les Éditions Stämpfli faisaient paraître la 2e édition du Précis « Droit de la communication » rédigé par Denis Barrelet et Stéphane Werly. Cette spécialité du droit a connu, depuis, de nombreux changements fondamentaux, si bien qu’une nouvelle édition est en préparation pour 2023. L’auteur, Stéphane Werly, explique l’importance et les défis liés à ce droit indispensable au cours d’une brève interview.
30.11.2022
Entretien avec Stéphane Werly, professeur à l’Université de Neuchâtel
Pourquoi a-t-on besoin d’un droit de la communication ? N’avons-nous pas la liberté d’opinion et d’expression en Suisse ?
C’est une excellente question ! L’art. 16 de la Constitution fédérale garantit les libertés d’opinion et d’information : chacun peut donc former, exprimer et répandre librement son opinion, ainsi que recevoir des informations, se les procurer et les diffuser. L’art. 17 consacre quant à lui la liberté des différents médias comme la presse, la radio, la télévision et les autres formes de diffusion, de productions et d’informations ressortissant aux télécommunications publiques. Toutefois, tous les droits fondamentaux peuvent être restreints à certaines conditions… et cela même en Suisse. Les consécrations constitutionnelles ne suffisent donc pas à circonscrire précisément les libertés de communication. Le droit de la communication entend notamment permettre la connaissance des limites imposées à l’expression d’une opinion, par le droit pénal, civil, administratif, voire, pour les journalistes, par la déontologie.
« Le droit de la communication entend notamment permettre la connaissance des limites imposées à l’expression d’une opinion. »
En quoi ce droit est-il indispensable aux acteurs du monde de la communication, notamment aux éditeurs et à un éditeur comme Stämpfli ?
Ce droit est indispensable, car un éditeur n’échappe pas à l’obligation de connaître les règles juridiques encadrant la communication. En effet, sa responsabilité pénale peut être engagée à titre subsidiaire si une infraction a été commise et consommée sous forme de publication par un ouvrage qu’il a édité. Sur le plan civil, celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité peut agir en justice pour sa protection directement contre un éditeur. Ce dernier peut ainsi, par exemple, se voir réclamer des dommages-intérêts ou se voir imposer la réparation du tort moral subi.
Le droit de la communication est-il aujourd’hui un domaine plein d’embûches, de sorte que les entreprises n’ont pas seulement besoin d’un chargé de communication, mais aussi d’un juriste en communication ?
Il est nécessaire pour une entreprise de médias de s’assurer l’aide d’un juriste. En effet, ce ne sont pas seulement des questions de droit de la communication qui se posent comme p. ex. le droit d’auteur, la responsabilité pénale ou civile…, mais également des aspects de droit des obligations en lien notamment avec des contrats. Le juriste devra donc être à même de distinguer les différents domaines susceptibles de s’appliquer dans l’activité de l’éditeur et avoir une vision transversale de la matière.
Vous préparez une nouvelle édition de votre livre pour 2023. Quels sont les derniers développements dans ce domaine en Suisse ? Quels sont les débats qui agitent encore la doctrine ?
Oui, le travail est en cours. La principale nouveauté de cette 3e édition consiste en l’entrée en vigueur, le 1er septembre 2023, de la nouvelle loi sur la protection des données. L’on peut penser aussi au nouvel art. 2 al. 3bis de la loi sur le droit d’auteur, qui considère désormais comme des œuvres les productions photographiques et celles obtenues par un procédé analogue à la photographie d’objets tridimensionnels, même si elles sont dépourvues de caractère individuel. Les controverses doctrinales portent quant à elles par exemple sur la qualification de Facebook en tant que média au sens de l’art. 28 du Code pénal ou sur la nécessité de consacrer une loi fédérale sur les médias.
Vous venez d’évoquer les productions photographiques, pouvez-vous également s’il vous plaît parler brièvement du droit à l’image ? De quoi doit-on, en effet, s’assurer lorsqu’on publie des photos ?
Le premier conseil est de s’assurer du consentement de la personne que l’on photographie. Une photo prise de façon licite peut en principe être publiée, sauf si elle délivre un message trompeur qui porte atteinte à la personnalité, p. ex. un individu grimaçant, ou si l’écoulement du temps l’interdit, p. ex. une photo d’un délinquant prise au moment de son procès et qui est maintenant au bénéfice du droit à l’oubli, ou encore si l’utilisation de la photo sort du cadre du consentement à la prise de la photo, p. ex. celui qui, lors d’un baptême, s’est laissé photographier a le droit de s’étonner s’il se retrouve dans un livre d’initiation au mariage. En l’absence de consentement, il est cependant licite de photographier un lieu fréquenté quand les personnes ne prennent sur la photo qu’une place accessoire, ou de photographier une foule lorsque l’individu se fond dans l’ensemble, à moins qu’il ne s’agisse d’un lieu peu recommandable. Pour résumé, il est donc impératif de rappeler que le seul fait de photographier quelqu’un sans son consentement et, à plus forte raison, le fait d’utiliser cette photo sont illicites.
Ce qu’il faut savoir sur le droit d’auteur
À l’origine, le droit d’auteur consistait en des réglementations sectorielles pour l’édition de livres, pour la présentation de spectacles, pour l’exécution de musique, etc. Il visait à protéger les éditeurs contre la concurrence déloyale par le biais de la réimpression de leurs publications et à assurer aux auteurs un revenu équitable résultant de la commercialisation de leur travail intellectuel. Aujourd’hui, le droit d’auteur est devenu un facteur central de la société numérique réglant de multiples aspects de notre vie privée, économique et sociale, notamment en ce qui concerne la communication par Internet.
Malgré la mise à jour des normes juridiques à l’échelle nationale et internationale, le droit d’auteur peine à s’adapter à cette mission nouvelle et ne la remplit que de manière insatisfaisante. Il est souvent difficile d’appliquer les dispositions légales en vigueur à des situations réelles qui ne correspondent plus à celles au moment de la législation. Toutefois, le droit d’auteur reste un instrument incontournable pour la protection des intérêts moraux et économiques des auteurs et des interprètes. Le défi actuel est donc de trouver des solutions nouvelles qui correspondent à cette tâche importante et qui soient en même temps mieux adaptées aux modes de communication modernes.
Par Willy Egloff, avocat et auteur :