Un compagnon pour la vie

Coup d’œil dans une cuisine d’école quelconque, quelque part en Suisse : une douzaine de jeunes se tiennent à leur plan de travail et se penchent, plus ou moins concentrés, sur différents aliments qu’ils doivent transformer en un plat. Des herbes aromatiques apparaissent dans la recette : basilic, romarin, thym. « Je ne sais pas ce que c’est », dit l’un des adolescents à sa voisine. Celle-ci regarde les branches vertes et se contente de hausser les épaules.

Ce n’est là qu’un petit exemple de la manière dont les connaissances autour du grand thème de l’alimentation s’amenuisent lentement mais sûrement. Les enseignants en économie familiale le constatent : lorsque les jeunes du secondaire font leurs premiers pas dans la cuisine de l’école, ils n’ont souvent aucune idée de ce qui arrive à un aliment lorsqu’il est chauffé, rôti, cuit ou congelé. Il ne s’agit en aucun cas d’un reproche. Cela s’explique par une société dans laquelle on trouve de moins en moins le temps de préparer des repas pour soi et pour les autres au quotidien et encore moins de s’asseoir pendant des heures pour les savourer. À cela s’ajoute la diversité des plats prêts à l’emploi dans les supermarchés ou les restaurants. Tout est disponible au coin de la rue. Même si l’on a envie de quelque chose de spécial, on le trouve sans trop d’efforts.

Lorsque nous pensons à nos années d’école, nous avons presque tous des histoires amusantes à raconter sur les cours de cuisine : des souvenirs de petites mésaventures, un thé trop sucré, des pâtes salées ou de petits gâteaux déformés. Au cours des 40 dernières années, beaucoup d’entre nous n’ont pas fait leurs premières expériences en cuisine à la maison, mais à l’école, avec le livre de cuisine culte Croqu’menus. Publié pour la première fois en 1986, ce livre a été le premier outil pédagogique à faire son entrée dans toutes les cuisines scolaires de Suisse. Depuis, il a permis à des générations de jeunes d’apprendre les bases de l’alimentation et de nombreuses recettes de base.

Croqu’menus accompagne les gens tout au long de leur vie, même après l’école : dans leur première colocation, dans leur premier appartement, en cuisinant avec leurs enfants et petits-enfants. Aujourd’hui encore, on le trouve dans la plupart des foyers. Il veille à perpétuer les connaissances en matière d’alimentation, de denrées alimentaires, de régionalité, de saisonnalité et de durabilité.

Mais pourquoi faudrait-il attendre l’âge de 13 ou 14 ans pour entrer en contact avec ce domaine passionnant ? Est-ce uniquement le rôle de l’école de consolider ces connaissances afin qu’elles ne se perdent pas complètement ? Ou ne pourrait-on pas commencer bien plus tôt et essayer d’ouvrir la voie de la cuisine aux jeunes enfants de manière ludique ?

Schulverlag plus AG pense qu’il vaut la peine d’essayer. Il n’est pas certain que les enfants mangent vraiment des choux de Bruxelles s’ils les ont préparés eux-mêmes. Mais les chances qu’un enfant goûte à un nouvel aliment qu’il a préalablement épluché, découpé et/ou cuisiné lui-même sont certainement beaucoup plus grandes. Et c’est déjà une bonne perspective.

Lorsque des personnes expérimentent la cuisine avec succès dès l’enfance, c’est un pas important vers plus d’autonomie, ce qui leur sera très utile au plus tard lorsqu’elles tiendront leur premier ménage. C’est pourquoi notre objectif principal est d’encourager le sentiment d’auto-efficacité des enfants. Nous sommes convaincus que la confrontation consciente et précoce avec les thèmes de l’alimentation et de la cuisine aide chacun à prendre des décisions, leur facilite la vie et exerce ainsi un effet positif sur le bien-être général.

Les enfants sont curieux – ils veulent apprendre et jouer. Lorsque ces composantes sont associées, l’apprentissage durable et spontané est programmé d’avance. C’est pourquoi l’équipe de Croqu’menus s’est fixé l’objectif, début 2024, de concevoir avec Croqu’menus… un livre de cuisine pour les enfants dès 4 ans. L’objectif est ambitieux, mais réalisable, comme le montrent les tests.

La répartition en trois niveaux de difficulté doit permettre à tous les enfants de réaliser les recettes du livre, même s’ils ne savent pas encore lire. Dans ce but, la forme de présentation, le temps de préparation, la complexité et l’utilisation des différents ustensiles de cuisine varient – des pures illustrations aux textes et des plats froids aux plats préparés sur la cuisinière ou au four.

À l’instar de l’original, Croqu’menus…  vise à transmettre des connaissances de base. Les thèmes tels que la saisonnalité, le gaspillage alimentaire, l’alimentation équilibrée ou la préparation/la découpe sont simplifiés afin de les rendre accessibles aux enfants. Des pages laboratoire de cuisine permettent de s’amuser avec l’amidon, l’acide, la levure et d’autres substances. Par l’expérience, les enfants découvrent notamment de près pourquoi une pâte lève au four lorsqu’on y ajoute de la levure.

Trois tests ont eu lieu en novembre 2024 : le prototype, et donc l’ensemble du concept, a été mis à l’épreuve avec les élèves de cinquième et de sixième, ainsi qu’avec dix enfants et leurs accompagnants. Il s’est rapidement avéré que les jeunes enfants sont déjà capables de réaliser de nombreuses recettes de cuisine, pour autant que les instructions soient adaptées à leur âge..

Lorsqu’une petite fille de 4 ans a reconnu dans l’illustration les aliments nécessaires et compté le nombre de tomates cerises, nous avons tout de suite remarqué que les détails étaient importants. Avec une facilité déconcertante, elle embrochait les aliments dans le bon ordre sur les brochettes en bois, tout en jetant régulièrement un coup d’œil à l’illustration. À côté d’elle, un garçon de 6 ans n’a pas hésité à casser des œufs au-dessus d’un bol et à confectionner une pâte à muffins aux framboises. Il ne jetait qu’un bref regard interrogateur à sa mère lorsqu’il s’agissait de lire une lettre ou un chiffre dans la recette.

Au terme de l’expérience, les enfants étaient très fiers d’avoir réalisé quelque chose eux-mêmes – et, durant ces quelques heures, les adultes accompagnants ont également pu constater que les enfants étaient beaucoup plus autonomes qu’ils ne le pensaient dans certains domaines.